CONFERENCES D’OPHTALMOLOGIE MEDICO LEGALE.


La liste des éléments à demander en cas d’infection nosocomiale

Docteur Danièle MONESTIER CARLUS

Les endophtalmies sont les infections nosocomiales de l’ophtalmologiste.

Les infections nosocomiales (du grec nosokomeion, « hôpital ») sont médicalement des infections contractées en milieu hospitalier. Le médecin soucieux de l’intérêt du patient, a pour préoccupation de réduire leur incidence et les fait entrer dans un cadre de politiques de prévention du risque. C’est ainsi qu ‘en ophtalmologie a été créé l’Observatoire National des Endophtalmies ( ONDE ), qui a adressé dès le premier trimestre 2003 un courrier à tous les confrères de la spécialité les invitant à participer à l’étude. L’objectif principal de l’ONDE est de documenter les caractéristiques cliniques, les résultats thérapeutiques et les facteurs de risques des endophtalmies.

La définition juridique de l’infection nosocomiale permet de déterminer ou non la responsabilité des établissements de santé où se produit une telle infection.

En 1988, une circulaire du ministère de la santé a donné une définition de l’infection nosocomiale qui comprend quatre éléments :

-toute maladie provoquée par des micro-organismes,

-contractée dans un établissement de soins par tout patient après son admission soit pour hospitalisation, soit pour y recevoir des soins ambulatoires

-que les symptômes apparaissent lors du séjour ou après,

-que l’infection soit reconnaissable sur le plan clinique ou microbiologique.

Le Comité Technique national des Infections Nosocomiales ( CTIN 1999 ) l’a redéfini à son tour de la façon suivante : «  une infection est dite nosocomiale si elle apparaît au cours ou à la suite d’une hospitalisation et si elle était absente à l’admission à l’hôpital ». Il est précisé que : « pour les infections du site opératoire, on considère comme nosocomiales les infections survenues dans les 30 jours suivant l’intervention, ou, s’il y a mise en place d’une prothèse ou d’un implant, dans l’année qui suit l’intervention ».

Depuis la loi du 4 mars 2002, il existe une dimension sociale de l’infection nosocomiale puisque la dite loi lui a donné un statut à part, l’excluant du cadre de l’alea médical. En effet, on estime que les infections nosocomiales touchent 7% des personnes hospitalisées, et qu’elles sont la cause de 4000 décès en France, ce qui représente un coût important pour la société, de l’ordre de 800 millions d’euros par an. Le Ministère de la Santé  a fait un véritable enjeu social d’un domaine où la prévention a été qualifiée de « très efficace ».

A l’heure actuelle une infection nosocomiale est presque toujours réparée : s’il y a faute du praticien, c’est ce dernier qui indemnise. En l’absence de faute du praticien et de l’établissement de santé, si le taux d’IPP est supérieur à 24%, c’est l’ONIAM qui prend en charge la réparation. Si le taux est inférieur ou égal à 24% , c’est à l’établissement de soins qu’échoit la charge de la réparation, sauf si ce dernier rapporte la preuve d’une cause étrangère.

Ainsi, le régime établi par la loi est simple : dès qu’une infection peut être qualifiée par l’expert de nosocomiale, il apparaît qu’elle doit être réparée.

Dans les missions confiées à l’expert, dans le cadre du droit commun , du tribunal administratif, ou d’une CRCI, deux questions sont posées : y a-t-il faute du praticien et s’agit-il d’une infection nosocomiale ? De plus, on demande souvent si des fautes d’asepsie ont été relevées, mettant en cause l’établissement de soins.

En ce qui concerne le caractère fautif du comportement du chirurgien, c’est le tribunal qui, selon la jurisprudence actuelle, qualifie de faute tout manquement à l’art médical. Il faut remarquer que toute réserve de l’expert sur le comportement de son confrère sera interprété de manière négative par le tribunal. Il apparaît donc essentiel de fournir à l’expert toutes les pièces médicales demandées ( la bonne « traçabilité » est devenue incontournable ), car cette abondance de documents qui pourraient en première analyse sembler nous faire perdre  de vue que nous sommes d’abord des thérapeutes avant d’être des « scribouillards », est en réalité dans le contexte de notre société notre principale défense. Remarquons que les situations permettant au tribunal de condamner un médecin par élargissement jurisprudentiel du caractère fautif de l’acte médical semble avoir trouvé un frein  (momentané ? ) depuis la mise en place des CRCI.

Le GAMM ( Sou Médical et MACSF ) qui assure près de 90% des ophtalmologistes français a colligé en 2004, 27 décisions judiciaires qui concernent la spécialité. Parmi elles, 15 condamnations ont été prononcées et 6 sont relatives à des infections nosocomiales.

L’expert qui reçoit une  mission  concernant une infection nosocomiale,  va demander deux types de documents, ceux qui vont permettre de qualifier le comportement du chirurgien, et ceux qui conduiront à dire s’il s’agit d’une infection nosocomiale.

DOCUMENTS DEMANDES POUR REPONDRE AUX QUESTIONS

I  – Les actes médicaux et de soins, notamment l’intervention chirurgicale étaient-ils appropriés et conformes aux règles de l’art ?

Documents à demander au chirurgien qui a réalisé l’acte opératoire

1 – Le dossier médical du patient permet de retracer la situation antérieure à l’intervention.

L’expert peut avoir à répondre à certaines  questions :

-validité de l’indication opératoire. Acuité visuelle lorsqu’il s’agit d’une cataracte. Dans le cas ou le chirurgien n’est pas l’ophtalmologiste traitant, lettre du confrère, notion de l’état général du patient ( diabète, hypertension artérielle, sujet immunodéprimé…).

-antécédents ophtalmologiques : infections, glaucome traité médicalement ou chirurgicalement, uvéites…

-information du patient sur les risques opératoires,  orale quand le patient est revu plusieurs fois avant la décision , écrite par la communication d’une fiche d’information que le malade doit posséder au moins 15 jours avant l’intervention ce qui lui laisse un délai théorique de réflexion. La fiche d’information doit être signée et remise au chirurgien. Il faut savoir qu’en cas d’absence de signature le demandeur allèguera toujours qu’il n’a pas eu en main un tel type d’information.

2 – Le bilan préopératoire

Bilan biologique, recherche éventuelle d’un foyer infectieux. Les prélèvements conjonctivaux ont été progressivement abandonnés au profit d’une information plus précise aux patients sur les risques en cas de conjonctivite déclarée quelques jours avant l’intervention.

3 – Prophylaxie anti-infectieuse

Antibioprophylaxie locale systématique. Elle est discutée. Elle doit être réservée à des cas particuliers car elle n’a pas fait la preuve de son efficacité en terme de prévention de l’endophtalmie. Cependant on peut remarquer que dans 90% des cas, l’origine des infections est locale.

Recherche de l’équilibre d’un diabète.

Douche à la Betadine la veille de l’intervention plus shampoing à la Bétadine la veille et le matin de l’intervention.

4 – Protocole antiseptique au début de l’intervention

Protocole du lavage des mains du chirurgien.

Préparation antiseptique au niveau du site opératoire. Ce protocole devenu consensuel est fondamental. A l’arrivée du patient dans l’unité ambulatoire nettoyage de la peau des paupières avec la Betadine aqueuse à 10%, sans instillation dans les culs de sacs. Puis instillation de collyre dilatateur. A l’arrivée au bloc opératoire, badigeonnage de la région à opérer en commençant par les paupières et en élargissant vers l’extérieur. Puis, instillation de Bétadine ophtalmique à 0,5% dans le cul de sac conjonctival. On laisse agir deux minutes. On répète le badigeonnage avec irrigation dans le cul de sac au début de l’acte opératoire.

Protocole particulier de l’anesthésie topique avec un gel anesthésiant : vérifier que la Bétadine a été mise avant le gel.

5 – Compte rendu opératoire

L’expert note les évènements inhabituels qui ont pu se produire et la gestion des complications. Il peut s’agir d’une rupture de la capsule postérieure, non constitutive de faute, ou d’un début d’expulsive. Toutes les situations où le vitré est dans la chambre antérieure augmentent le risque infectieux par dix. L’expert tient compte du type d’implant et de sa position en chambre antérieure ou postérieure. Tout implant mal placé augmente les risques infectieux. L’analyse de l’expert porte sur les gestes qui ont été réalisés après la découverte de la complication et les délais dans lesquels le chirurgien est intervenu.

Un compte rendu opératoire incomplet est une présomption de faute.

6 – Matériel utilisé

Injecteur pour l’introduction de l’implant, en théorie plus sécurisant car évite le contact de la prothèse avec la surface oculaire.

Type d’implant, certains implants de type PMMA favoriseraient la formation de biofilms bactériens à leur surface et l’apparition de l’endophtalmie.

Usage de matériel jetable, en particulier les canules d’irrigation-aspiration qui, en règle générale, restent difficiles à nettoyer (problème soulevé par les infections sérielles).

7 – Suivi post-opératoire

La période cruciale du risque infectieux est de cinq jours après l’intervention.

Document de sortie remis au patient précisant les signes d’alerte qui doivent faire appeler, et le numéro de téléphone où le chirurgien est joignable.

Il existe un consensus sur l’obligation de revoir le patient à J+1. L’assureur considère que l’absence de visite le lendemain de l’intervention est une faute.

Toute inflammation post-opératoire anormale est suspecte d’infection. Elle doit être suivie « de près ».

8 – Protocole appliqué en cas d’endophtalmie

Urgence thérapeutique, l’endophtalmie bénéficie désormais d’un traitement bien codifié.

Prélèvement de liquide intra-oculaire : ponction de chambre antérieure ou ponction vitréenne. Prélèvement de surface associé.

Antibiothérapie intravitréenne par injection de Vancomycine actif sur 100% des germes gram+, associé à une injection de Fortum, actif sur 85% des germes gram-.

L’injection d’aminosides qui sont toxiques sur la rétine doit être réservée à des indications microbiologiques.

Les injections peuvent être répétées trois jours plus tard puis une fois par semaine pendant deux semaines si nécessaire.

Des antibiotiques par voie locale et générale sont associés au traitement intravitréen. L’antibiothérapie systémique à bonne pénétration intra-oculaire comporte une fluoroquinolone associée à un deuxième antibiotique (Fosfomycine, Imipénème…).

Dans les endophtalmies lentes où le germe suspecté n’est parfois mis en évidence qu’après des ponctions répétées, le traitement est secondairement adapté, par exemple en cas de mycose. Le pronostic est en général réservé.

Les indications de la vitrectomie ont été codifiées par l’EVS : acuité visuelle réduite à une perception lumineuse, cornée claire, avec visualisation suffisante de l’iris et du fond d’oeil .

Signalement de la complication comme le stipule la Directive

Générale de la Santé n° 2001 671 du 26 juillet 2001 qui concerne la lutte contre les infections nosocomiales dans les établissements de santé.

Le patient doit être informé dès sa survenue, de la complication qu’il  présente, des risques fonctionnels qu’elle génère, et des traitements qui sont nécessaires.

II – S’agit-il d’une infection nosocomiale ?

Y a-t-il manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière d’infection nosocomiale ?

Il s’agit de savoir si en cas d’IPP supérieur à 25 %, l’ONIAM pourra se retourner contre l’établissement de soins.

Documents à demander à l’établissement de soins où l’acte a été réalisé

1 – En ce qui concerne le CLIN

Composition du CLIN et date de création.

Rappel : le 06 mai 1988, le décret 88-657 instaure un comité de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) dans tous les établissements publics ou privés. Ce comité est chargé d’organiser et de coordonner la surveillance des infections, de promouvoir des actions de formation du personnel.

Ordre du jour du CLIN pendant l’année où s’est produit l’infection.

2 – En ce qui concerne le bloc opératoire

Témoins de stérilisation ayant servi à l’intervention.

Protocole de nettoyage désinfection du bloc opératoire.

Prélèvements d’environnement s’ils existent : avant l’intervention et le jour de l’intervention, dans l’air, sur la table opératoire, sur le microscope…

3 – Relevé des infections nosocomiales

pour l’année où est survenue l’infection et si cela n’a pas été fait l’année antérieure et l’année postérieure.

4 – La présence d’une infirmière IBODE

Présence ou non d’une infirmière de bloc opératoire diplômée d’état.

5 – Dans le service d’ophtalmologie

Protocole d’antibioprophylaxie systématique du service, lorsqu’il existe.

Protocole concernant les prélèvements à réaliser en cas de suspicion d’endophtalmie.

Protocole de prise en charge d’une endophtalmie post-opératoire. Ces protocoles existent dans de nombreux CHU.

Procédure de préparation des collyres renforcés.

Procédure de préparation des antibiotiques intra-vitréens.

A l’issue des opérations d’expertise, dans son rapport l’expert se prononce pour dire s’il existe des éléments constitutifs de faute de la part du médecin et/ou de l’établissement de santé où est survenu le dommage.

Si le praticien a réalisé les soins dans les règles de l’art, sa responsabilité n’est pas engagée.

En ce qui concerne la question de la mission : « s’agit-il d’une infection nosocomiale ? », elle paraît inappropriée. En effet, juridiquement, une endophtalmie qui fait suite à une intervention chirurgicale est toujours une infection nosocomiale. L’enquête réalisée auprès de l’établissement de soins et la communication des pièces réglementaires permettent de vérifier que l’établissement est engagé dans une démarche de qualité et qu’il ne peut être relevé à son encontre aucune faute d’asepsie.

Si par un travail irréprochable, l’ophtalmologiste peut ne pas voir sa responsabilité engagée, la seule façon pour un établissement de santé de se dégager de sa responsabilité est de rapporter la preuve d’une cause étrangère.    Pour constituer une cause étrangère, un événement doit présenter trois caractères : il doit être absolument insurmontable, imprévisible et remplir une condition d’extériorité( un tremblement de terre). Les préjudices sont alors pris en charge par la solidarité nationale.

Depuis plus de 16 ans de lutte, malgré toutes les lois, décrets et directives, malgré la constitution de très nombreuses commissions,  les infections nosocomiales sont toujours présentes. On peut alors se poser la question de savoir si certains facteurs sont suffisamment pris en compte dans la recherche de la prévention du risque, comme le trop grand nombre de patients opérés par le même chirurgien au cours de la même journée . C’est bien un des problèmes que les chirurgiens veulent faire comprendre en s’expatriant aujourd’hui à Londres ou à Barcelone.

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